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"J’ai des inspirations au niveau de la narration bien plus qu’au niveau graphique, j’adore les histoires de famille. Dans ma propre famille, il y a d’abord des histoires de maison avec des ambiances très particulières. Et cela a particulièrement nourrit mon dessin et je reviens beaucoup à ces ambiances et ces enquêtes familiales."

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  • Clouée : Peux-tu nous parler de toi et ton parcours ?

Jeanne Sterkers : J’ai commencé l’illustration en 3ème, c’est à ce moment-là que je me suis dit que ce serait mon métier. Je cherchais un stage de styliste en fin de 3ème et il se trouve qu’ils n’ont pas voulu de moi… Donc je me suis dit que ce métier n’était pas pour moi, j’ai complétement viré de bord ! J’ai découvert les blogs BD grâce aux magazines dans lesquels des artistes parlaient de la diffusion de leurs dessins sur Internet. J’ai voulu faire la même chose et j’ai ouvert un blog afin de pouvoir régulièrement poster mes dessins. Cela m’a donné envie de me lancer dans l’illustration. Puis, j’ai rencontré un illustrateur, le voisin de ma marraine, Nicolas Keramidas, et je lui ai montré mon blog BD. J’avais 14 ans, mes dessins n’étaient pas forcément beaux. En plus d’être sympa, il m’a donnée plein de conseils et il m’a dit de m’accrocher car ce n’est pas un métier facile. J’étais d’autant plus motivée pour aller au bout des choses car tout ce qu’il m’a montré de son travail m’a malgré tout donné envie de faire la même chose.

 

  • Comment t’es-tu orientée vers ce métier d’autrice ? Quel a été le déclic pour te diriger vers la littérature jeunesse et BD ?

Après avoir découvert tout ce monde sur internet, tous ces dessins et conseils partagés avec des jeunes de mon âge, cela a déclenché l’envie d’en faire mon métier. J’ai découvert le forum dessiné. C’est un forum où on communique uniquement par le dessin, c’était très stimulant, on se donnait beaucoup de conseils. C’est là que j’ai appris comment fonctionnait les études d’art pour faire de l’illustration. J’ai aussi participé à un concours qui s’appelle « le concours de la BD scolaire d’Angoulême » où j’ai été sélectionnée. Ils m’ont offert le voyage à Angoulême et j’ai découvert le milieu de la BD à ce moment-là. Surtout qu’en plus de nous offrir le voyage, il nous permettait de dîner avec un auteur. Du coup, j’ai diné avec Arthur De Pins. C’était vraiment génial, j’avais 15 ans et j’étais hyper impressionnée d’être devant lui à table. On lui a posé plein de questions avec ma mère. Elle voulait savoir comment cela se passait. Elle avait bien senti que j’étais bien décidée dans mes choix. J’ai découvert comment on arrivait en école d’Art, qu’il fallait passer par une MANAA (qui n’existe plus), que la plupart des écoles d’Art étaient à Paris. Il fallait se faire à l’idée que j’aille à Paris après le bac.

 

  • D’où viennent tes influences artistiques ? La culture bretonne influence-t ’elle ton approche artistique ?

Ce n’est pas forcément l’histoire de l’art, car je n’allais pas spécialement au musée quand j’étais petite. Il y a deux musées à Quimper qui sont très bien par ailleurs. Les expositions sont top. Mais je n’y allais pas tant que cela. Mes influences viennent beaucoup plus dans ce que je lisais : les albums jeunesse, les magazines. Je lisais de la BD, mais beaucoup plus de livres avec des illustrations à cette période-là. C’est au collège que j’ai commencé à m’intéresser à la BD. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai car depuis que je suis petite, notre père nous achète les recueils du journal de Spirou. Il le faisait aussi quand il était jeune, on continue la collection. 

J’ai des inspirations au niveau de la narration bien plus qu’au niveau graphique, j’adore les histoires de famille. Dans ma propre famille, il y a d’abord des histoires de maison avec des ambiances très particulières. Et cela a particulièrement nourrit mon dessin et je reviens beaucoup à ces ambiances et ces enquêtes familiales.

 

  • « Le bestiaire de maman» est ton 1er livre destiné aux enfants. C’est un bel hommage à la figure maternelle qui endosse tous les rôles, toutes les postures dans un univers graphique haut en couleurs, avec une émotion qui saisit le jeune (et moins jeune) lecteur. Raconte-nous le processus créatif de ce livre et ton rôle dans son élaboration.

Ce livre a été écrit avec Victor Le Foll. Le point de départ, c’est ma lecture d’un album jeunesse qui était sur le même sujet : la figure maternelle bienveillante, calme, douce, gentille. Le cliché de la mère parfaite. Je ne suis pas mère, mais je pense que ce doit être culpabilisant de lire des choses comme cela. J’imaginais un livre dans lequel il y aurait écrit « ma maman est belle comme un camion… forte comme un taureau ». En fait, des choses opposées à ce qu’on imagine quand on parle de la femme, de féminité et de maternité.

À partir de là, il y avait cette idée de concrétiser tout cela en se concentrant sur les animaux. Il y avait un beau bestiaire. C’était un travail en binôme : on l’a pensé et écrit ensemble. Victor est cité comme l’auteur mais, c’était un dialogue permanent. On choisissait chaque animal que l’on associait à une activité quotidienne. Ensuite, je me suis chargée de la partie illustration pendant le premier confinement. Je venais de finir mon stage, tout était à l’arrêt. C’était le moment de se lancer. On était en Bretagne dans un sublime cadre. C’était un travail quotidien à l’air frais, sur une table dans le jardin. C’était finalement un travail rapide car il n’y avait rien d’autre à faire…. 1 jour, 1 illustration. En un mois, l’album était fini. Une fois que je suis lancée, on ne m’arrête plus… (rires)… Poursuivre son travail sur plusieurs jours c’est plus compliqué : la première impulsion est souvent la bonne !

Illustration extraite de l'album jeunesse "Le bestiaire de maman", éditions L'Agrume

 

  • Est-ce une envie de ta part de te consacrer à la littérature jeunesse? 

C’est arrivé sans que je ne le choisisse vraiment. On dit souvent que j’ai un style jeunesse, car mon travail est coloré. Donc on considère que si c’est coloré alors c’est pour l’enfant… Mais la couleur ne devrait pas être réservée qu’aux enfants. Croire aussi qu’un trait qui n’est pas réaliste, ne parle pas aux adultes… c’est faux.  Camille Jourdy parle autant aux adultes qu’aux enfants. Son trait peut être classé en jeunesse et en bande dessinée adulte. Il se trouve que je me suis d’abord tournée vers la jeunesse, car c’est l’orientation que tout le monde voulait me faire prendre. Ce n’est pas dérangeant car j’adore communiquer avec les enfants. Ce n’est pas toujours facile, on fait toujours des parallèles avec nos propres lectures jeunesse, il faut se fixer des limites et il faut faire attention aux vocabulaires selon les âges. C’est un défi.

 J’aimerais faire de la bande dessinée adulte ! Il y a de plus en plus de couleurs maintenant. C’est progressif. Je reviens sur Jérémie Moreau mais il amène de la couleur et ses traits sont de plus en plus simplifiés. Par exemple, Le discours de la panthère a un côté album jeunesse, par sa couverture déjà… Et pourtant, c’est une lecture pour les adultes !

 

 "Le discours de la panthère" de Jéremie Moreau, éditions 2024

 

  • Qui t’a transmis cette passion du dessin et l’envie d’en faire ton métier ?

Ce n’est pas une personne mais des faits, des choses qui sont arrivées petit à petit. Mes parents ont été moteurs et m’ont soutenue dans ma démarche. Cela aide énormément, j’ai des amis qui n’ont pas eu la chance d’être soutenus par leurs parents et qui ont dû envisager d’autres perspectives pour leur avenir. Assumer ces choix seul, c’est difficile, surtout quand on n’a pas les moyens matériels de le faire.

Ma discussion avec Nicolas Keramidas a été un élément déclencheur. Comprendre ce métier c’est important. Finalement, j’ai toujours voulu lui prouver quelque chose ! Alors je pense qu’il s’en fiche... (rires)…

Lorsque je lui ai présenté mon travail à 14 ans, j’étais persuadée qu’il trouvait cela minable donc je crois que j’ai voulu lui montrer de quoi j’étais capable. Il m’a parlée de la précarité de ce métier et j’avais l’impression qu’il ne m’encourageait pas à aller vers cette voie à ce moment précis. En fait, ce n’était pas du tout le cas, il m’alertait sur une réalité importante à connaître lorsque l’on se lance dans ce métier : l’instabilité.     

Il avait raison, mais j’ai pris cela comme un défi : je veux faire de la BD. J’ai porté cela en moi longtemps.    

 

Les deux palettes de feutres à alcool utilisées
par Jeanne Sterkers pour la réalisation du triptyque.  

 

  • L’une des caractéristiques de ton travail c’est de jouer avec nos émotions : ce choix de couleurs vives, lumineuses et éclatantes, des personnages attachants, en mouvement, qui sont finalement toujours un peu le reflet de nous-même. Peux-tu nous en dire plus sur la technique que tu utilises et sur ton style ?

Je privilégie les techniques qui amènent beaucoup de mouvements. La gouache, c’est super car je travaille sur des grands formats ce qui fait qu’on peut avoir un trait très lâché et aller aux formes essentielles. Avoir la forme qui retranscrit ce que j’ai envie de transmettre. C’est assez instinctif ! Je commence à faire des croquis car on me les demande mais, avant, je faisais de tous petits croquis et je passais directement au grand format. Faire un croquis et peindre sont deux choses différentes, ce n’est pas le même geste et le rendu n’est pas le même. Je suis beaucoup plus à l’aise avec des gestes lâches et amples. Ce n’est pas non plus la même manière de procéder quand il s’agit de feutre à alcool car, au contraire, ce sont de petites zones assez minutieuses.

J’ai développé ma pratique en essayant toujours de garder cette idée de mouvement avant que ce ne soit dans des proportions justes. Pour la danse, il faut que l’on sente qu’ils dansent. Étant donné que je me base sur des films, il ne faut pas que ce soit une répétition de l’image mais que l’on sente l’image d’avant et l’image d’après même si le mouvement est plus long qu’un simple arrêt sur image.       

 

  • Quelle est l’étape dans la création que tu affectionnes le plus et celle qui à l’inverse est la plus compliquée à réaliser ?

C’est le moment de la mise en couleur que j’affectionne le plus car c’est là que tout se révèle. La partie la plus laborieuse pour moi c’est la partie recherche. Car, justement, j’ai envie d’attaquer directement la partie finale… C’est là où je trouve le plus de choses ! Je me sens bridée dans les recherches car je n’arrive pas à exprimer tout ce que je veux. Par exemple, pour mon livre, le Bestiaire de maman, mes croquis étaient rapides pour avoir simplement une composition en tête. Tous les détails arrivaient à la peinture. Je n’arrivais pas à trouver ce niveau de détail dans mes crayonnés.

 

"Il est important de questionner son illustration. Je l’ai beaucoup fait en préparant mon mémoire. Elle ne doit pas être neutre, il faut avoir des partis pris. On ne peut pas avoir une vue globale". 

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  • Peux-tu nous dire quelques mots sur tes prochains projets artistiques ?

J’ai un projet de bande dessinée avec un ami qui écrit le scénario. Je ne vais pas en dire trop mais, il s’agit d’une histoire de famille dans un petit village. Ce sont tous les sujets que j’affectionne ! J’ai hâte de m’y mettre. En plus travailler à deux, savoir que mon ami écrit l’histoire, c’est très stimulant. J’ai qu’une hâte c’est de commencer nos recherches en septembre. C’est super de chercher ces ambiances de petits villages, je me demande si je vais baser l’intrigue en Bretagne car c’est ce que je connais… Mais l’identité est tellement forte que l’on ne peut pas la mettre en arrière-plan. C’est un peu comme le Sud, il y a des questions de langue qui se posent. Je veux un village un peu anonyme, où l’on ne sait pas vraiment dans quelle région il se trouve pour que ce soit l’intrigue qui prenne le dessus.   

 

  • Peux-tu nous parler des émotions que tu ressens lorsque ton dessin est terminé et à quel moment tu actes qu’il ne nécessite plus aucune retouche ?

La question est « Est-ce qu’un dessin est bien terminé ou pas ? ». Je peux passer beaucoup de temps sur un dessin car je n’arrive pas à trouver exactement ce que je veux. Il y a des dessins rapides car je sais où je veux aller surtout quand je commence à coloriser. Et il y a des dessins plus laborieux… souvent je les abandonne et je recommence. J’ai entendu une interview de Béatrice Alemagna qui expliquait qu’elle travaillait comme cela. Je me retrouve un peu là-dedans. Son travail très vif et expressif, ce que je recherche moi aussi, peut être retravaillé plusieurs fois pour trouver la bonne expressivité. Mais une fois qu’elle la trouve, son travail est rapide ! 

 

 

Illustration de l'artiste Béatrice Alemagna  

 

  • Qu’est-ce que tu ressens devant cette fameuse page blanche ? Comment tu surmontes le doute et l’angoisse ?

Cela dépend des sujets. Dans le cadre de cette commande, l’enjeu me faisait peur, mais la thématique m’inspirait énormément. C’était très stimulant car je savais là où j’allais et j’avais énormément envie de le faire et de me lancer.

Il arrive que ce soit plus difficile, car nous n’avons pas la même vision que la personne. Donc il faut s’adapter et cela peut être plus laborieux. Mais le tout c’est de se lancer !  

 

  • Quelles sont tes routines de travail ? A quel moment de la journée as-tu le + d’inspiration/ où es-tu le plus productif ?

Je n’ai pas trop de routines, car elle me l’était jusque-là imposée par mes études. J’essaie de bien organiser mon temps de travail surtout lorsque j’ai des commandes extérieures à celle de l’école. Il faut que cela soit fluide et marche pendant le temps que j’ai à ma disposition. J’aime dessiner en fin de matinée, en début d’après-midi.

 

  • Le cinéma et la danse semblent être une source d’inspiration importante. Qu’est ce qui te fascine dans ces arts ?

Tous les arts nourrissent l’illustration. Dans le cinéma, en particulier ma sélection, il y a des images que je ne pouvais pas garder seulement dans ma tête. Dessiner ces scènes de danse c’est un travail de réinterprétation, mais l’ambiance est là. L’émotion que j’ai ressentie en regardant le film est fixée en un dessin.

C’est finalement la même chose lorsque l’on illustre un livre, c’est pour conserver des émotions qu’on a eues et que l’on n’a pas envie de perdre. On veut laisser une trace. C’est une interprétation et cela permet de faire découvrir le film d’une autre manière. Et j’espère que les clients auront plaisir à regarder une nouvelle fois ou découvrir ces films et s’amuseront à reconnaître les scènes de chacun de ces films.

 

 

  • Ton dessin permet une évasion, une ouverture sur différentes cultures. Quelle place accordes-tu aux voyages dans l’élaboration d’une illustration ou d’un livre ? Quel est le pays ou la région qui t’inspires le plus dans ta création ?

Mes parents sont originaires de Paris et de Bretagne. Mais presque tous mes oncles et tantes sont mariés à des personnes d’origines étrangères. Il y a un mélange des cultures importants. La Bretagne a une identité forte, j’en avais un peu honte en étant jeune, et, en grandissant, je me suis rendue compte de l’importance de venir d’un endroit et ce que cela impliquait. On ne doit pas renier ces attaches car elles font partie de nous. Dans la politique actuelle, on a tendance à vouloir uniformiser toutes les cultures, à dire que c’est du communautarisme dès qu’il y a une démonstration d’une culture autre que celle qui est considérée comme la culture « normale » française. Finalement c’est un mix de plein de choses.

La langue bretonne a été interdite dans l’apprentissage et c’est ce qu’il se passe aujourd’hui avec les différentes immigrations. Il faudrait que l’on oublie nos différences alors que c’est cette même différence qui m’intéresse chez les gens.

Dans ces films par exemple, ce qui m’intéresse c’est ce qui est nouveau et différent. Cela attise ma curiosité. Il y a en fait plein de façons de penser et de voir nos différences.

 

  • Selon toi, quelle est la qualité indispensable requise lorsque l’on est autrice ?

Il est important de questionner son illustration. Je l’ai beaucoup fait en préparant mon mémoire. Elle ne doit pas être neutre, il faut avoir des partis pris. On ne peut pas avoir une vue globale. Dans cette question de représentativité, l’absence de certaines populations les exclut forcément, ils ne sentent pas concernés si les histoires que l’on raconte ne leur sont pas destinées. Il y a des enfants qui ont moins accès à la lecture : il faut donc questionner ce que l’on représente dans l’illustration pour ne pas exclure.  

 

  • Nous sommes fières que tu collabores à notre première thématique « Si on dansait … ?». Qu’est ce qui t’a plu dans ce projet ?

Qu’est-ce que cette thématique t’évoque ?

Je pratique la danse depuis des années et j’adore la dessiner. J’ai eu plusieurs projets sur la danse lors de mon année de MANAA. Ma professeure faisait des arrêts sur image et l’objectif était de dessiner le mouvement de la danseuse à un instant T le plus rapidement possible. C’était un exercice génial qui permettait de trouver ce qui faisait l’énergie de la danseuse à un moment précis.

Au-delà de la danse, je suis intéressée par les comédies musicales. L’univers est complet, kitch pour certain mais c’est ce que j’adore dessiner. Il y a de la couleur partout. Donc j’ai lié mon amour de la danse et aux comédies musicales. C’était l’occasion d’amener cette passion dans ce projet.

 

Extrait du film Bollywood, Devdas, réalisé par Sanjay Leela Bhansali (2002)

 

  • Parle nous du processus créatif du triptyque… Comment l’as-tu pensé et imaginé ? Quelle est son histoire ?

 Je voulais travailler sur des comédies musicales qui m’ont marquée et qui avaient toutes un lien entre elles. J’ai choisi Devdas qui est un film Bollywood que j’ai découvert jeune. J’étais complètement fascinée par les décors grandioses. C’est magique. L’histoire est triste : c’est une réinterprétation de Roméo et Juliette. Ce qui était plaisant, c’était de montrer d’autres danses que la danse classique. C’est souvent celle qui est mise en avant comme étant la plus noble. Il y a pourtant une multitude de danses dans le monde, c’est divers un peu comme dans l’illustration. Je voulais vraiment montrer cette diversité de pratique avec des films d’horizon différent.

J’ai donc pensé à une scène du film sino-hongkongais Le secret des poignards volants et une touche occidentale avec West Side Story. Ce dernier est plus classique :  je n’avais pas aimé la première version étant petite, je la trouvais trop longue. En revanche, Steven Spielberg m’a réconciliée avec ce film et cette fois-ci j’y ai vu le message social que j’étais trop petite pour comprendre la première fois. Les deux premiers films parlent de différentes cultures hors de la culture européenne et le dernier de la difficulté de garder sa culture d’origine quand on est immigré. C’est cette ambivalence qui m’a intéressée dans le fait de mettre en regard ces trois films. Mes 3 propositions s’inséreraient parfaitement ensemble sur plusieurs aspects. Tout ça passe au travers de la danse qui est un moyen d’expression et de communication extraordinaire.

 Extrait de l'adaptation par Steven Spielberg du film West Side Story (2021)

 

  • Quel est l’artiste qui te cloue le bec ?

J’ai trouvé assez facilement, il s’agit de Jérémie Moreau. J’ai découvert qu’il avait participé au même concours que moi à Angoulême, qu’il avait d’ailleurs remporté. En même temps, c’est normal car c’est génial. Ce que j’aime beaucoup dans son travail et que je recherche aussi dans le mien … je ne sais pas si j’y arrive autant que lui… c’est d’arriver à se réinventer à chaque projet. On reconnaît son style mais il nous surprend à chaque fois car il teste plein de techniques différentes. Souvent, j’aime un artiste car je suis dans une période gouache donc je vais suivre des artistes qui utilisent la même technique. Dès que je change de technique, je vais un peu m’éloigner de ces artistes-là. Je suis avec constance Jérémie Moreau car il utilise de nouvelles techniques et cela marche à chaque fois. C’est vivant, hyper coloré. Il y a des motifs. Il me fascine, il est trop fort… (rires)…     

 

  • La dernière chose que tu as encadré et accroché ?

J’ai plutôt décroché qu’accrocher, parce que je suis en plein déménagement. Mais c’était intéressant, car j’ai fait un tri. Avant j’avais tendance à accrocher beaucoup de choses avec de la patafixe. Quand j’encadre une illustration, c’est qu’elle a une certaine valeur sentimentale. J’accroche beaucoup moins de choses mais ce sont des objets précieux que j’ai choisi. À chaque fois que je les regarde, j’ai l’impression de découvrir quelque chose de nouveau. C’est plaisant.   

 

  • Un film, une série, une bande dessinée, un livre qui te clouent au lit ?

Dernièrement, c’est la trilogie Before Sunrise / Sunset / Midnight de Richard Linklate. J’aime les histoires de famille et ce film développe les rapports entre des personnages sur le long-terme. Finalement, on n’a pas les mêmes problématiques à 20, 30 ou 40 ans. C’est ce que je recherche dans mes histoires, cette confrontation entre des générations différentes : les questionnements évoluent selon les âges.

Dans cette trilogie, on suit Julie Delpy et Ethan Hawke à différentes périodes de leur vie. Un film de dialogues, il faut s’accrocher mais il m’a fait réfléchir.

 

Affiches de la trilogie Before Sunrise / Sunset / Midnight de Richard Linklate
voir la bande annonce => https://www.youtube.com/watch?v=NRVLVPWzeek 

Une série que je conseille à tout le monde, c’est Detectorists de Mackenzie Crook. C’est sur deux mecs un peu paumés dont l’activité principale est de passer au détecteur à métaux le champ du voisin. C’est très drôle, un humour anglais très fin, les personnages sont très touchants et l’ambiance d’un petit village anglais de campagne à un côté très doux et chaleureux. J’ai aussi beaucoup aimé récemment Normal People, une série avec des personnages qui évoluent sur plusieurs années.

    

  Detectorists de Mackenzie Crook  /  Normal People de Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald

Sans hésiter, plusieurs Bande dessinées de Posy Simmonds ! Que ce soit Tamara Drewe, ou Gemma Bovary … J’aimerais voir plus de bande dessinée qui soit à cheval entre le roman et la bande dessinée. Cela permet de développer davantage l’univers et l’intériorité des personnages et d’avoir en parallèle des scènes plus dessinées qui parlent d’elles-mêmes, avec des cadrages qui disent autre chose que le texte. On nous propose souvent soit l’un soit l’autre mais les deux sont ultra complémentaire. Posy Simmonds le réussit tellement bien. C’est vers ce travail où j’aimerais aller.

 

Mon livre préféré est toujours dans le prolongement du reste, une histoire qui fait évoluer ses personnages sur plusieurs décennies. Il s’agit de L’amie prodigieuse de Elena Ferrante. C’est un thème récurrent finalement …(rires)…

Là il est question d’amitié entre deux personnages qui évoluent dans le temps et des questions sociales qui m’intéressent. L’une qui reste dans un quartier populaire de Naples et l’autre, une transfuge de classe, qui va partir faire des études et qui a du mal à trouver sa place entre son village d’enfance et la haute société. Ces problématiques sont subtilement traitées par l’autrice.     

    

Gemma Bovery de Posy Simmonds / L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante

 

  • Quelle est le sentiment que tu ressens en imaginant tes illustrations accrochées au mur chez nos clients, faisant ainsi partis de leur quotidien ?

Ce qui me plaît le plus dans ce projet c’est que cela puisse permettre d’avoir de l’illustration dans des endroits où il n’y en a pas forcément et de le rendre accessible à l’illustration. De pouvoir les regarder dans des endroits publics, à son travail… Je suis heureuse car c’est en accord avec des valeurs que je porte, mais qui ne sont pas toujours facile à avoir pour être éditée par exemple, il faut passer par certaines cases. On ne peut pas toujours faire ce que l’on veut. Là cela me permet d’être plus en accord avec les valeurs que j’essaye de défendre dans l’illustration.

 

Merci à Jeanne Sterkers pour ce beau moment !