INTERVIEW LÉA ALMÉRAS

 

 

"J’ai tout de suite eu envie de représenter la neige qui tombe, dans le silence. Je me suis ensuite demandé, et si quelqu’un dansait dans le froid, heureux que la neige soit arrivée ..." 

 

Clouée : Pouvez-vous nous parler de vous et votre parcours ?

Léa : Après une MANAA (Mise à Niveaux en Arts Appliqués) à l’Ecole Duperré à Paris en 2016, j’ai fait un DMA Illustration à l’Ecole Estienne. Je travaille depuis maintenant 3 ans en tant qu’illustratrice. Cette année est un tournant important dans mon travail, je me lance dans la bande-dessinée !

 

Comment vous êtes-vous orientée vers ce métier d’autrice ? Quel a été le déclic pour vous diriger vers l’illustration ?

Je crois que je n’ai jamais ressenti de déclic, je ne me suis pas dit « oh, c’est ce que je veux faire maintenant ». J’ai grandi dans une famille d’artistes, je dessinais dès que je le pouvais, chez moi, à l’école, en vacances, toujours sur des feuilles de brouillon et avec des stylos noirs. Le dessin était pour moi le moyen d’exprimer mes émotions, et c’était naturel. Je n’ai jamais eu à me demander « est ce que je pourrais faire ce métier ?». Pour moi, c’était « je dessine, et je veux continuer à dessiner toute ma vie. » J’étais très impatiente de commencer les études d’art.

 

D’où viennent vos influences artistiques ? Qui vous a transmis cette passion du dessin et l’envie d’en faire votre métier ?

Les albums jeunesse qui m’ont marqué enfant sont encore pour moi source d’inspiration. J’étais attirée par les images qui transmettent des émotions fortes, qui captent un mouvement précis. Je voulais réussir à faire pareil. C’est toujours ce que je recherche dans ma pratique artistique. J’aime les œuvres devant lesquelles je me dis « c’est si fort ! Quelle émotion !»

En primaire, j’ai découvert les mangas. J’étais scotchée devant les noirs et blancs, la maîtrise des contrastes. J’entretiens une relation assez obsessionnelle avec les mangas. Puis, à l’adolescence, j’ai découvert la danse, à travers un documentaire sur une œuvre de Pina Bausch. Son langage chorégraphique me bouleverse. Je vais voir régulièrement de la danse au théâtre, je ressens des émotions très fortes devant l’expression des corps, cela nourrit énormément ma pratique.

Je suis la dernière de ma famille, mes premiers souvenirs de dessins sont des moments où j’essayais de recopier ce que faisaient mes sœurs. Ma grand-mère m’a appris qu’il était important d’observer ce qu’il y avait autour de soi, et comprendre ce que l’on regarde. Je prenais très au sérieux tous ses conseils, et j’essayais de les appliquer à ma pratique.

Je dessinais beaucoup dans l’atelier de ma mère, je la regardais travailler, je lui parlais de ce que je faisais, je lui montrais mes dessins. J’étais en contact direct avec ces métiers de création, et c’était une grande chance, j’étais très libre.

 

 

 Pina Bausch en 1971 

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur la technique que vous utilisez et sur votre style ?

J’utilise comme outil la pipette en verre que l’on trouve dans certains petits pots à encre. J’aime travailler en monochrome, avec de l’encre bleue ou noire. Quand je dessine, j’attache une grande importance à l’émotion que je veux transmettre, et j’aime jouer avec le blanc du papier et l’encre.

 

Quelle est l’étape dans la création que vous affectionnez le plus et celle qui à l’inverse est la plus compliquée à réaliser ?

J’aime particulièrement le moment où je peux créer sans me poser de questions, quand j’arrive à m’immerger totalement dans le dessin. J’ai alors l’impression que ma tête est directement connectée à ma main. Cela n’arrive pas tout le temps, mais lorsque c’est le cas, tout semble plus simple, et c’est une grande joie de réussir à dire par le dessin exactement ce que je veux.

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos prochains projets artistiques ?

Je travaille depuis avril sur un projet de bande-dessinée. Je ne peux pas vraiment en parler pour l’instant...Mais je peux vous dire que j’y utilise la pipette à l’encre noire…étonnant n’est-ce pas !

 

"Je dessinais beaucoup dans l’atelier de ma mère, je la regardais travailler, je lui parlais de ce que je faisais, je lui montrais mes dessins. J’étais en contact direct avec ces métiers de création, et c’était une grande chance, j’étais très libre." 

 

Pouvez-vous nous parler des émotions que vous ressentez lorsque votre dessin est terminé et à quel moment vous actez qu’il ne nécessite plus aucune retouche ?

Je considère qu’un dessin est terminé lorsque j’ai réussi à exprimer ce que je voulais. J’essaie de vite poser mon dessin, je m’oblige à me dire qu’il est fini, car j’ai tendance à vouloir rajouter des détails…

Comme j’utilise une pipette, je mets beaucoup d’encre sur mon papier, qui met du temps à boire. Je dois faire attention lorsque je dépose mon dessin au sol, sur un carton. Quand il est sec, il est fini. Si le dessin me plaît, je reprends un papier, je suis pleine d’énergie, et j’en fais 2 ou 3 autres. Si le dessin ne me va pas, j’arrête.

 

Quelles sont vos routines de travail ?

 Je commence souvent le travail de création en milieu de journée. Le moment idéal quand je fais de la pipette, c’est lorsque le soleil s’est couché, j’écoute une musique qui m’inspire, et je dessine.

 

Nous sommes fières que vous collaboriez à notre thématique « Grand froid ». Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?  Qu’est-ce que cette thématique vous évoque ?

J’ai beaucoup aimé le fait que 6 illustrateurs aient reçu le même thème, pour créer des ambiances différentes. C’est toujours intéressant d’avoir un thème imposé, pour sortir de sa zone de confort, et de découvrir ce que les autres ont trouvé comme idées. Cette thématique m’évoque le silence et le vent.

 

Parlez-nous du processus créatif de ton illustration… Comment l’avez-vous pensé et imaginé ? Quelle est son histoire ?

J’ai tout de suite eu envie de représenter la neige qui tombe, dans le silence. Je me suis ensuite demandé, et si quelqu’un dansait dans le froid, heureux que la neige soit arrivée ... 

 

Quel est l’artiste qui vous cloue le bec ?

Mathurin Méheut (surtout ses croquis et dessins).

 La monumentale tapisserie La Mer (350 x 595 cm) est tissée à la prestigieuse manufacture des Gobelins entre 1941 et 1946. 

Un film, une série, une bande dessinée, un livre qui vous clouent au lit ?

Un film : A sun de Chung Mong-hong

Une série : Nowhere Man de DJ Chen

Une bande dessinée (manga) : Nausicaa de la Vallée du vent d’Hayao Miyazaki

Un livre : Le bruit et la fureur de William Faulkner

 

 

 

 

 

 

La dernière chose que vous ayez encadré et accroché ?

J’ai (enfin !) encadré une illustration de Lily Borraz Korngold. C’est une œuvre très sensible que j’aime beaucoup. J’ai accroché sur ma porte l’affiche du diplôme de ma meilleure amie qui est créatrice de vêtements.

 

Quelle est le sentiment que vous ressentez en imaginant votre illustration accrochée au mur chez nos clients, faisant ainsi partie de leur quotidien ?

J’en suis très heureuse, et j’espère qu’ils n’auront pas trop froid en la regardant !